Le grand homme
Wang Yangming
"Le grand homme est celui qui conçoit le Ciel-Terre et les dix mille êtres comme un seul corps. Il considère le monde comme une seule famille et le pays comme une seule personne. Quant à opérer une distinction entre les objets et une séparation entre moi et autrui, c'est le propre de l'homme mesquin. Que le grand homme conçoive le Ciel-Terre et les dix mille êtres comme un seul corps ne procède pas d'une intention délibérée : c'est le sens de l'humain intrinsèque à son esprit qui l'unit foncièrement à l'univers entier. En cela il n'est en rien différent de l'esprit de l'homme mesquin qui n'est diminué que par son étroitesse de vue.
C'est ainsi que, à la vue d'un enfant sur le point de tomber dans un puits, il ne pourra réprimer un sentiment d'effroi et de pitié, son sens de l'humain faisant alors corps avec l'enfant. Certes, l'enfant appartient à la même espèce humaine ; mais devant les cris pitoyables et les airs apeurés de bêtes sur le point d'être massacrées, il ne pourra pas davantage supporter ce spectacle, son humanité faisant alors corps avec ces bêtes. Mais, objectera-t-on, les bêtes sont douées comme nous de conscience ; or, à la vue de plantes menacées de destruction, il ne pourra s'empêcher de ressentir de la commisération, son humanité faisant corps avec les plantes. Les plantes sont malgré tout des êtres vivants, mais même devant les débris de tuiles et de pierres, il sentira son coeur se serrer, son humanité faisant corps avec ces détritus. Tous ces sentiments, même le coeur de l'homme le plus mesquin ne saurait y échapper.
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L'esprit du Saint conçoit le Ciel-Terre et les dix mille êtres comme un seul corps. A ses yeux, tous les hommes au monde – qu'importe qu'ils soient étrangers ou familiers, lointains ou proches, pourvu qu'ils aient sang et souffle – sont ses frères, ses enfants. Pas un qu'il ne veuille protéger, préserver, pas un dont il ne veuille subvenir aux besoins moraux et matériels, afin de réaliser sa volonté de faire corps avec les dix mille êtres.
A l'origine, l'esprit de tout homme au monde ne diffère en rien de celui du Saint. Dès que l'égoïsme vient s'interposer et que les désirs matériels viennent l'obstruer, ce qui était grand devient petit et ce qui circulait librement se bloque. Chacun se met à avoir des considérations personnelles, au point que certains en arrivent à regarder père, fils, frère comme des ennemis. Telle est la grande inquiétude du Saint, poussé à diffuser et enseigner partout le sens de l'humain qui rassemble en un seul corps le Ciel-Terre et les dix mille êtres. Ainsi, tous nous dominerons notre égoïsme, nous nous débarrasserons de ce qui fait obstruction et retrouverons ce que nous avons de commun : la constitution originelle de notre esprit. "
Wang Yangming (1472-1529)
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