"Django Unchained" ou : le dragon déchaîné
"Django, avec un D..." Comme diable ?
Avertissement : je déconseille de lire la suite si vous souhaitez voir ce film, bien que je ne dévoile pas grand chose de l'intrigue
Dans ce film caricatural, immoral (et drôle ?), ce bain de sang qui n'a rien à envier à un film d'horreur, ce n'est pas un homme qui est délivré mais une bête (d'ailleurs on le verra plusieurs fois avec une muselière). C'est cette bête que le Docteur Schultz libère et "réveille" (avec l'appât du gain et le désir de vengeance).
Le docteur d'origine allemande -qui semble avoir parfois des éclairs de lucidité- raconte à son protégé Django une légende germanique qui deviendra le fil conducteur du film : le héros, Siegfried, gravit la montagne entourée de feu pour sauver la belle emprisonnée par le Dragon. Or ici le "héros" ce n'est pas Siegfried comme on pourrait s'y attendre dans un film à la moralité saine. Ici le "héros" c'est le Dragon, c'est Django, représentant le déchaînement des instincts primaires et des passions égoïstes. Django représente le reflet des "dragons blancs", les esclavagistes dont il reproduira le même comportement brutal et sauvage, tuant sans état d'âme et sans complexes car c'est pour la "bonne cause" : c'est pour se venger.
Notez que tout est dit dans le nom du "héros" : une coïncidence fait que si nous transposons la lettre j de "Django" en r, j correspondant à la rota espagnole, nous avons là un anagramme parfait de "Dragon" !
Si nous n'avions pas compris, à la fin du film nous pouvons en avoir la confirmation : Django ne franchit pas de mur de flamme comme le fait Siegfried dans la légende. Au contraire, c'est lui qui met le feu en dynamitant le QG de Candyland ! En fait il ne libère pas la "belle" mais c'est lui, son âme, qui est enlevée par ce qu'elle représente ici : le mensonge et la duperie.
Django se laisse peu à peu enfermé dans une vision mensongère et monochrome de la réalité. Aussi porte t-il souvent des lunettes noires pour se protéger de la vérité et, plus prosaïquement, du blanc, son ennemi.
le nouveau "Jango Fett"
Oui vous aurez sans doute remarqué qu'il n'aime pas trop les blancs (ce qui est compréhensible pour un ancien esclave)... Mais en termes symboliques, Django le dragon sacrifie les moutons blancs au "Dieu vengeur". Image très parlante du champ de coton blanc éclaboussé par le sang d'un esclavagiste :
Ici c'est "oeil pour oeil, dent pour dent". N'oubliez-pas qu'avant d'être un chasseur de prime, Schultz l'initiateur est un dentiste. Ici on apprend aux moutons la loi du Talion.
Mais doit-on prendre ce film pour une fable décalée ? Une fable hardcore où l'on nous explique comment les victimes deviennent parfois pires que leurs bourreaux ? Comment un agneau devient-il un loup, et comment les anciens prédateurs deviennent-ils eux-même les proies du nouveau loup déchaîné ?
Schultz, le maître à penser de Django, invite ce dernier à entrer de plus en plus profondément dans l'ombre du mensonge. Schultz est un dentiste, un arracheur de dent.
Mais bien vite, Dr King Schultz se fait dépasser par son élève qui se prend au jeu au point d'oublier d'où il vient. Après avoir initié Django à l'art du crime sous couvert de la loi (et du profit), Schultz est choqué par le niveau de sadisme de son élève qui le surpasse alors dans son propre rôle. On voit à plusieurs reprises que Schultz a quelques poids sur la conscience : par exemple on le voit tiquer un peu lorsque Django consent froidement à livrer aux chiens un de ses frère de couleur pour ne pas se faire démasquer et montrer à quel camp il appartient désormais. Et cet acte immonde couvert par le mensonge est fait pour le besoin de SA cause, pour atteindre son but égoïste : délivrer SA femme. Cette scène horrible revient d'ailleurs en mémoire à Schultz vers la fin du film. L'ancien maître est choqué, il est désormais dépassé par son élève Django.
Schultz peut désormais lui laisser la place dans la suite du rôle dans lequel Django est maintenant pleinement investi jusqu'à en être comme possédé. On dirait qu'il a oublié qu'il fut un jour un esclave, et à aucun moment nous le voyons exprimer de la compassion envers ses anciens compagnons de souffrance. Il était censé jouer le rôle de l'affranchi devenu plus raciste encore que ses anciens bourreaux. Mais on s'aperçoit bien qu'il ne se départira plus de ce rôle qui lui colle à la peau jusqu'à la fin. D'ailleurs il ne se gênera pas pour insulter des noirs tout au long du film, et même en tuer vers la fin, alors qu'il est censé être pour l'affranchissement des esclaves. Django semble être sous-contrôle mental, comme s'il obéissait à un programme implanté par Schultz. Django n'est plus la proie mais le nouveau prédateur. Il est devenu le nouveau Dragon.
On voudrait sans doute nous faire penser que Django correspond au Siegfried de la légende, mais il est au contraire l'anti-Siegfried : sa quête n'est pas noble (si elle le semble c'est par auto-suggestion), elle est animée par le seul désir de vengeance et par la passion aveugle pour sa femme Broomhilda von Shaft. Nous nous apercevons que c'est elle la source de son aveuglement et de sa corruption. C'est son amour conditionnel et égoïste pour elle qui rend Django aveugle et insensible au triste sort de ses anciens compagnons de galère. Avec Broomhilda, nous avons une allusion à Brunehilde, la femme de Siegfried dans la légende. Mais Broomhilda c'est aussi le nom d'un comic strip américain mettant en scène une sorcière alcoolique et dépravée (Broom-hilda signifie littéralement « Hilda du balai » en anglais).
A noter également que « von shaft », le nom de Broomhilda dans le film, signifie « de l'arbre » : allusion à la forêt d'où elle provient, comme toute sorcière qui se respecte. Nous comprenons donc que, tout comme Django représente un anti-Siegfried, sa femme Broomhilda représente une anti-Brunehilde, une sorcière. Elle symbolise la tentation pour le mal et le mensonge qui happent de plus en plus le "héros" dans une voie sans retour. Plusieurs fois pourtant Django a des avertissements sous forme d'hallucinations où il voit sa femme. Des visions où elle se trouve en lisière de forêt, habillée à chaque fois avec une robe de couleur jaune. Or dans la symbolique occidentale le jaune désigne les traîtres, les faussaires et les femmes adultères (aussi dit-on que le jaune est la couleur des cocus).
Quant à Calvin Candie, l'esclavagiste fou et incestueux joué par Léonardo Di Caprio, avec son nom très proche de l'anglais "candid" il semble vouloir être associé à la pureté d'intention et à la candeur... tout du moins comparativement au "héros" entraîné dans la fourberie de Schulz. Il a du sang sur les mains et son comportement est abominable et cruel mais cela ne l'empêche pas de porter un symbole de candeur et de franchise faisant écho à son patronyme : l'oeillet blanc qu'il porte à sa boutonnière ( http://oeillet-blanc.blogspot.fr/2011/08/une-fleur-la-boutonniere-symbole-dune.html).
Il représente la cruauté franche, sans détour ni double langage. Et il n'aime pas qu'on lui mente... <spoiler>A la fin, en gage de loyauté il veut serrer la main à Schultz mais celui-ci refusera plusieurs fois avant de faire semblant d'y consentir, pour mieux l'abattre à bout portant...</spoiler> En effet, symboliquement Schultz représente la tromperie et il ne pouvait accepter les manières franches de son ennemi.
Voilà les "héros" qui sont dépeint dans ce film et à qui s'identifient tacitement les spectateurs. Des "héros" dépravés qui sont accrocs aux combats à mort, à la violence vengeresse, à la cruauté blanche, noire, franche, ou maquillée de mensonge. Ce n'est pas nouveau mais ce qui l'est c'est que cette violence extrême est dite "fun" et "moderne" par les critiques qui en firent quasi-unanimement la promotion. C'est censé être drôle mais même au second degré ça ne l'est pas car de toute évidence la forme l'emporte sur le fond ici avec ce flot d'images violentes et dégradantes envers l'humain. Et la grande majorité des spectateurs sont d'accord avec cette soupe indigeste qu'on leur sert. La culture de la violence est devenue une normalité et s'érige en modèle sur les écrans de cinéma. Et tout le monde doit trouver ça bien parce que on nous a appris à trouver ça bien ?
Fort de cette analyse, que doit-on penser de cette oeuvre de Mr Tarantino ? On pourrait être tenté d'être impressionné par l'intelligence machiavélique du scénario et par la richesse des images et des symboles (il y aurait encore à dire). Mais si on transpose Schultz comme représentant le scénariste initiateur et Django comme les élèves spectateurs, alors on peut voir dans ce film une sorte d'ode au mensonge, invitant les agneaux à se perdre dans leur rôle de loup assoiffés de sang (qu'on leur offre avec ce film comme pour exciter le cerveau reptilien).
Je ne souhaite pas rejoindre un camp moutonnier hypnotisé par la violence et le sang d'un simulacre de sacrifice orgiaque hollywoodien. Je ne souhaite pas contribuer à la promotion de la violence gratuite et psychopathique. C'est pourquoi, après avoir vu ce film, j'enlève mes lunettes noires, j'ouvre les yeux, et je partage mon ressenti sur les spectacles dont on abreuve les gens en leur faisant perdre les repères de ce qui est vrai, juste, et beau. En somme tout ce ce que représente le véritable Siegfried de la légende. Avec ce genre de film on tue Siegfried, mais celui-ci renaîtra de ses cendres car la noblesse de son or est invincible et incorruptible. C'est aussi le challenge que demande Broomilda Von Shaft : que le héros terrasseur de Dragon fasse de son jaune un or de vérité par son regard transformé.
Le pré-cieux attend au fond des mines de l'inconscient, gardée par le dragon...
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